VATICAN (CITÉ DU)

VATICAN (CITÉ DU)
VATICAN (CITÉ DU)

On dit «Le Vatican», pour faire bref ou pour faire peur, et suggérer tout un monde en un mot. Pour être plus exact, on précise «la Cité du Vatican» ou, mieux encore, «l’État de la Cité du Vatican» (en italien, Stato della città del Vaticano , appellation dont on lit les initiales S.C.V., sur la plaque de nationalité des véhicules qui y sont immatriculés). Le Vatican tient du mythe. On en parle comme du Kremlin ou du Pentagone. Comme eux, il a ses arcanes: c’est un monde fermé, énigmatique, tout en subtilités. Ceux qui lui appartiennent sont astreints à la discrétion; ceux qui lui sont étrangers ne craignent pas les spéculations; ceux qui sont patients et attentifs peuvent en apprendre beaucoup en regardant bien, plus encore en réfléchissant, en lisant et en écoutant. Ainsi s’acquiert une réputation de «vaticaniste», comme ailleurs de «kremlinologue».

C’est que le Vatican est d’abord une réalité: un territoire habité et délimité, qui jouit d’un statut international sans équivalent dans le monde; un État miniature de quarante-quatre hectares, moins du tiers de la principauté de Monaco, à peine le vingtième du bois de Boulogne à Paris. On peut, à son sujet, se poser bien des questions. «Combien de divisions peut-il aligner?», demandait Staline pendant la Seconde Guerre mondiale. À combien faut-il timbrer le courrier qui lui est destiné? (les tarifs postaux français ne l’indiquent pas, parfait symbole de l’étrangeté du cas). Le Vatican offre matière à une inépuisable curiosité folklorique. Il figure au patrimoine artistique de l’humanité établi par l’U.N.E.S.C.O. Au-delà, c’est un vaste sujet d’études pour toutes les sciences humaines, sauf, sans doute, la démographie: on y travaille, on y vit, on y meurt même, mais il n’est pas habituel qu’on y naisse. Un État véritablement à part: comment donc s’est-il constitué? Quelle est sa raison d’être? Comment est-il organisé? Qu’y fait-on et sur quoi repose-t-il?

Un État témoin

On peut dire que le Vatican est, en un double sens, un État témoin: il est le témoin d’un long passé historique, dont le présent n’est plus qu’un modeste souvenir, comme on le dit en géologie d’une butte ou en biologie d’un organe; il est aussi témoin, parmi les puissances de ce monde et au sein de la société des États, de cette idée que tout ne se réduit pas à la politique, à l’économie, ni même à la culture... C’est un État chargé d’histoire, qui est sans doute la plus ancienne au monde des institutions internationales, et cependant une des plus récentes (1929) sous sa forme juridique actuelle. Du Vatican, en effet, il convient de distinguer soigneusement le Saint-Siège, ou Siège apostolique.

Le Siège apostolique, c’est celui de Pierre, cathedra Petri , le chef des Apôtres, martyrisé à Rome vers 64, sous Néron, et inhumé au lieu où s’élève aujourd’hui la basilique Saint-Pierre, la plus vaste église jamais construite. C’est le siège des pontifes romains, les successeurs de Pierre, les papes, pasteurs de l’Église universelle. Il représente l’instance qui a la charge directe de l’Église romaine, au sens local qu’elle eut longtemps (le diocèse de Rome), avant de s’identifier à l’Église catholique: une distinction qui détermine toujours la composition du conclave (le Sacré Collège des cardinaux), appelé à élire un nouveau pape. C’est le Siège apostolique, enfin, qui a créé la Cité du Vatican, en accord avec le gouvernement italien, et c’est lui que reconnaît le droit international: les ambassadeurs sont accrédités auprès du Saint-Siège, qui, de son côté, envoie des nonces pour le représenter.

Enfermé dans ses hautes murailles, ouvert sur la place Saint-Pierre, le Vatican est en somme la résidence administrative du Saint-Siège et du souverain pontife. Du double point de vue religieux et politique, il se présente, dans le cadre international, comme une solution élégante qui fait penser au statut de Washington et de Mexico dans le cadre national propre à chacune de ces deux cités: les États-Unis d’Amérique du Nord et les États-Unis du Mexique sont deux républiques fédérales, deux fédérations d’États; leur capitale est située dans le périmètre étroit d’un «district fédéral» indépendant de tout État, ni au-dessus, ni au-dessous d’eux, mais autre qu’eux.

Géographiquement, le Vatican est une des collines de Rome, aujourd’hui bien affaissée, sur la rive droite du Tibre. Le nom est passé à ce qu’on a d’abord appelé la «cité léonine», en souvenir du pape Léon IV, qui, au IXe siècle, lui donna ses remparts actuels. Au retour d’Avignon (1377), les papes s’y installèrent, puis, au milieu du siècle suivant, ils y firent venir les services pontificaux installés au Latran. Depuis lors, au prix de multiples constructions, adjonctions et modifications, les architectes n’ont cessé de travailler dans cet espace restreint et de l’occuper de manière toujours plus dense, sans atteinte au site.

On sait comment des comtés sont devenus duchés, puis principautés, puis royaumes. Ce n’est pas par ascension, ni par révolution ou déclaration d’indépendance que le Vatican est devenu État, mais par un traité bilatéral destiné à clore un long contentieux entre l’Église et l’Italie. Cet accord de 1929 a abouti à une innovation hardie, et discutée par les juristes. Elle n’avait d’autres bases que la volonté des deux parties, d’autres garanties que leur signature: le Vatican fut alors érigé en «ville libre et souveraine» («cité» est un décalque noble du mot courant en italien, città , pour dire «ville») et, de ce fait, détaché de la Ville de Rome, capitale, mais ni libre, ni souveraine. Tous les pays n’ont pas reconnu cette décision, mais aucun ne l’a contestée, ni ne le pouvait. L’innovation ne manquait pas de précédents (à commencer par Dantzig, dix ans plus tôt), mais elle avait surtout une grande signification historique: elle faisait du nouvel État l’héritier des États de l’Église, le chétif héritier d’un patrimoine qui fut considérable et qui avait engagé les papes dans les interminables vicissitudes du «pouvoir temporel».

L’étendue et le statut de ce pouvoir ont connu de grandes variations. Des circonstances multiples y ont concouru: à l’origine, la générosité de nobles fidèles, l’effacement du pouvoir byzantin, le prestige politique de la papauté, sa reconnaissance par Charlemagne en 774, le régime féodal et le mouvement communal, le séjour en Avignon... L’État pontifical avait été une création carolingienne au milieu du VIIIe siècle, un acte de Pépin le Bref, que le pape avait sacré roi des Francs. Au XVe siècle, ce pouvoir se mua de suzeraineté en souveraineté et suivit l’évolution des monarchies. La Révolution française y mit fin, en France d’abord (1791), puis en Italie (1797). Enlevé de Rome en 1809, le pape n’y rentra qu’en 1814. Le congrès de Vienne (1815) le rétablit dans ses prérogatives et le reconnut roi de l’État pontifical. Jusqu’au dernier acte de l’unité italienne, consommée par la prise de Rome en 1870, il sera «le pape-roi» (il le restera pour des nostalgiques). Le nouveau pouvoir promulgua alors des «garanties». Le pape les refusa, dénonça la violation du droit et se considéra comme prisonnier au Vatican. La «question romaine» était ouverte: elle pèsera lourdement sur l’histoire italienne, jusqu’à la «conciliation» voulue par Pie XI et par Mussolini, et dans laquelle chacun trouvait son avantage. Les accords du Latran, signés le 11 février 1929, la réglèrent définitivement: ils comprenaient un traité politique, une convention financière et un concordat religieux, complétés ensuite par des dispositions particulières (postale, monétaire, entre autres). Du «pouvoir temporel», il restait un souvenir et un symbole: souvenir sans regret, symbole sans prétention.

Une cité administrative

Pour tous, le Vatican symbolise le gouvernement central de l’Église catholique autour de son chef suprême. L’État du Vatican, c’est d’abord une cité administrative, qui lui pose un problème de taille. Il est, en effet, trop à l’étroit dans ses murs: il ne peut héberger ni tous ses services, ni tous leurs personnels. De même qu’il y a une France d’outre-mer, même réduite à ses D.O.M.-T.O.M., il existe ainsi un Vatican hors les murs. En établir la carte n’est pas chose facile, car il revêt trois visages bien différents.

Le premier, ce sont les «exclaves» (le contraire d’«enclaves», mot approprié du côté italien) nommément désignées par le traité de 1929, qui leur reconnaît l’extraterritorialité: trois basiliques, huit immeubles (palazzi ), un hôpital et la résidence d’été des papes à Castel Gandolfo sur les hauteurs de Rome. S’ajoute à cette liste une dizaine d’immeubles qui, sans bénéficier de ce privilège, sont placés sous garanties. En revanche, l’extraterritorialité a été après la guerre étendue à des cas non prévus par le traité: ainsi le terrain de quatre cents hectares, aux environs de Rome, où est installée Radio-Vatican, ou la salle d’audiences construite par Paul VI à cheval sur la ville et la cité. Le deuxième, déjà moins net, ce sont les divers immeubles et services qui sont situés à Rome même, dans sa banlieue ou ses environs et dont le Vatican est la véritable raison d’être mais qui ne jouissent d’aucun statut particulier. Le troisième, indiscernable à l’œil nu, c’est, pourrait-on dire, cette population frontalière qui vit à Rome et travaille pour le Vatican ou (tels les diplomates) auprès de lui.

Quand on parle, à propos du Vatican, d’un gouvernement central, l’expression est au moins équivoque. Elle recouvre, en effet, deux ordres de réalités distincts, sinon trois, voire quatre: la curie romaine, le gouvernorat, la maison pontificale, la fabrique de Saint-Pierre. Au sein du Vatican, la basilique de Saint-Pierre forme une sorte d’enclave, avec la maison du chapitre, la fabrique, chargée de sa gestion et de son entretien, le personnel spécialisé qui lui est attaché. Elle est véritablement «exempte», sous la dépendance immédiate du pape. La maison pontificale est l’équivalent de ce qu’on appelle en France les services présidentiels de l’Élysée. Elle est l’héritière, modeste, de ce qui fut longtemps la cour pontificale, célèbre pour ses fastes, son apparat et son protocole. Ce rôle figuratif est aujourd’hui subordonné à un impératif fonctionnel qui fait apparaître une profonde modification, en un demi-siècle, de la charge de travail du pape. Le gouvernorat, ce sont les services administratifs ou annexes propres à la Cité du Vatican: ce qui reste au souverain pontife de son ancien pouvoir temporel. Placé sous l’autorité d’une commission cardinalice, il comprend un secrétariat général et huit directions. Relèvent ainsi de sa compétence: les monuments et les musées pontificaux, dont on sait l’inestimable richesse artistique; les bâtiments et la voirie; le service de santé; l’approvisionnement et son magasin, les services économiques et financiers; le personnel et l’état civil; la sécurité; le bureau d’information; les postes et télécommunications (le central téléphonique passe environ six millions de communications par an); les timbres, les monnaies et médailles; la gare du chemin de fer (essentiellement pour les marchandises) et un héliport. S’y ajoutent un observatoire astronomique (à Castel Gandolfo), le poste de Radio-Vatican (qui émet en trente-trois langues), un service archéologique, l’Imprimerie polyglotte vaticane (qui travaille en quatre-vingt-quatorze langues), une maison d’édition, un quotidien, L’Osservatore romano , qui paraît depuis 1861...

Paul VI a beaucoup simplifié les services de garde du Vatican, réputés pour leurs uniformes d’un autre âge. Il a supprimé tout ce qui, dans l’entourage pontifical, n’avait qu’un rôle de figuration et de cérémonie pour ne garder que ce qui peut servir l’ordre intérieur et la sécurité publique: une police civile (l’ancienne gendarmerie) et une compagnie militaire (les gardes suisses).

On arrive ainsi à l’essentiel, le gouvernement central de l’Église, assuré, sous la suprême autorité du pape, par la curie romaine: la «bureaucratie vaticane», disent ses détracteurs. Comme tous les grands appareils de ce genre dans les pays modernes, elle s’est constituée au fil des temps et des besoins, en départements, ou «dicastères», traditionnellement appelés, selon leur nature, «congrégations», «tribunaux» ou «offices». Au cours du XXe siècle, elle a été soumise à trois réformes importantes. Celle de Pie X, en 1908, était fonctionnelle (il s’agissait d’adapter l’organisme à son époque); celle de Paul VI, en 1967, après le concile, a été structurelle: organe secondaire qui avait grandi par nécessité, la secrétairerie d’État passait au premier plan et coiffait les traditionnelles congrégations. Le cardinal secrétaire d’État devenait ainsi un véritable Premier ministre et chef de gouvernement: il a désormais l’œil sur tout et, seul, tient tous les fils en main. Il n’est pourtant pas limité à un rôle d’impulsion, de coordination et de vérification. Il n’est pas non plus le délégué ou le lieutenant du pape. D’une part, chaque chef de dicastère reste directement responsable devant celui-ci. D’autre part, la secrétairerie d’État a ses attributions propres, qui sont étendues. Son organisation est complexe. Elle repose toujours en fait sur une ancienne distinction entre les «affaires ordinaires», confiées à un substitut, et les «affaires extraordinaires». Les premières sont réparties entre sept sections déterminées linguistiquement (allemand, anglais, espagnol, français, italien, polonais, portugais) et divers services. Les secondes jouissent d’un statut particulier: relevant jadis d’une congrégation, elles forment désormais le «conseil pour les affaires publiques de l’Église», chargé de la diplomatie pontificale et des rapports avec les gouvernements, en un mot, de la politique extérieure.

Les congrégations ont été ramenées par Paul VI de quinze à neuf, avec des noms qui en disent clairement l’objet: la congrégation dite de la Doctrine de la foi (l’ancien Saint-Office héritier de l’Inquisition), dont dépendent une commission théologique internationale et une commission biblique; celle des évêques (ceux-ci sont près de 4 200 en 1994 pour environ 2 500 diocèses); celle des Églises orientales (une dizaine de millions de catholiques orientaux, qui sont répartis entre de nombreux rites et qui ont leur implantation spécifique ou ont été dispersés par l’émigration); celle des sacrements et du culte divin; celle du clergé (on compte environ 260 000 prêtres catholiques séculiers dans le monde en 1990); celle des religieux et instituts séculiers (environ 240 000 religieux, dont les deux tiers sont prêtres, et près d’un million de religieuses); celle de l’évangélisation des peuples (qui s’appelait auparavant «congrégation pour la propagation de la foi» et qui est responsable des «missions parmi les infidèles»); celle des causes des saints; celle de l’éducation catholique (chargée des séminaires, écoles et universités catholiques). Les tribunaux sont au nombre de trois, qui ont conservé leur nom archaïque. La signature apostolique, qui juge en cassation ou au contentieux administratif, est le tribunal suprême de l’Église. La rote romaine a compétence en appel (ou, directement, s’il s’agit de chefs d’État et de leur famille) pour les causes de mariage. La sacrée pénitencerie est liée à la pratique de la confession et, par là, aux «cas de conscience» qui lui sont soumis ou aux situations dont le droit canonique réserve au pape l’absolution. Parmi les offices ou bureaux, on signalera la préfecture des affaires économiques du Saint-Siège, véritable Cour des comptes; l’administration du patrimoine du Siège apostolique, qui gère les biens du Saint-Siège; le bureau central de statistiques de l’Église. On peut ajouter la Bibliothèque vaticane et les Archives vaticanes, qui sont placées sous l’autorité d’un cardinal réputé pour son savoir.

Mais, depuis le IIe concile du Vatican, ont été institués des organismes nouveaux, qui sont d’une nature différente de celle des précédents: des secrétariats (pour l’unité des chrétiens; pour les non-chrétiens; pour les non-croyants), des conseils (des laïcs; Cor unum , pour l’assistance et l’entraide), des commissions (Justice et Paix, pour le développement, la paix et les droits de l’homme; pour l’Amérique latine; pour la pastorale des migrations et du tourisme; pour les moyens de communication sociale, etc.). La troisième réforme, celle de Jean-Paul II en 1988, unifiera cette terminologie: il n’y a plus que des conseils et des congrégations.

Il est difficile d’évaluer avec exactitude l’ensemble des effectifs qui permettent à une pareille administration de fonctionner. Les chiffres donnés ne s’accordent pas: tout dépend des sources où l’on puise et de la façon dont on compte. On peut avancer comme raisonnable le chiffre de 3 500 personnes en activité (plus un millier de retraités), dont moins de la moitié pour la curie. Ce n’est pas pléthorique, et le taux de croissance reste loin derrière ce qu’ont connu, dans le reste du monde, la plupart des grandes administrations. C’est peu pour la tâche, c’est lourd pour le budget.

Le rayonnement du Vatican

Le Vatican hors les murs, ce n’est pas encore tout le Vatican. De 1870 à 1929, l’histoire italienne et l’histoire ecclésiastique ont été dominées par le conflit dans lequel la «troisième Rome», moderne et libérale, s’affirma contre celle qui avait succédé à la «première», lors des invasions barbares, la «deuxième Rome», chrétienne et cléricale, qui réagit vigoureusement face à la formation de l’«unité» italienne. Ces querelles sont apaisées, et le temps des affrontements révolu. Le pape a renoncé à tout pouvoir temporel sur Rome, où il a conservé toute sa juridiction religieuse, mais il y détient beaucoup plus que l’un et l’autre, et sans commune mesure. Rome est devenue capitale de l’Italie, mais, comme Jérusalem, elle demeure enveloppée, pénétrée de sacralité. Si elle n’est plus «città sacra » depuis 1984, elle reste une ville sainte, sur laquelle Pie XII a montré toute son autorité pendant la Seconde Guerre mondiale et qu’à ce titre il a fait reconnaître comme ville ouverte par les belligérants. Aujourd’hui encore, aux yeux des foules catholiques et bien au-delà, elle est restée la ville du pape, la capitale du monde catholique (plus de 900 millions de catholiques en 1990) et le centre visible de son unité. Il y a ceux qui ont affaire au Vatican et ceux, infiniment plus nombreux, qui viennent à Rome, en pèlerinage dans la Ville éternelle, pour voir et entendre le pape. Entre la République italienne et l’État de la Cité du Vatican, pas de poteaux-frontière, ni douane, ni contrôle des passeports. Un concordat règle les rapports religieux entre les deux puissances. Sa révision, longuement préparée et conclue en 1984, n’y a pas touché. Tout se passe à l’italienne. «À chacun ce qui est à lui», martèle chaque jour L’Osservatore romano ; mais on sait à Rome que chacun a partout sa place et son bien et que, si Dieu a créé les fleuves, les hommes ont inventé les ponts. On est dans une société où comptent beaucoup les relations personnelles et où la fermeté des principes n’a jamais tué le sens des accommodements.

Si le Vatican, par la force des choses, déborde son strict territoire, pour la même raison, il attire beaucoup plus de monde qu’il n’en saurait contenir: en premier lieu, les maisons généralices de nombreuses congrégations religieuses, dont le mouvement centripète s’est accéléré (après elles, souvent, suivent leurs archives); en second lieu, les maisons de formation du clergé, collèges ecclésiastiques, dont les élèves suivent les cours des universités pontificales de Rome (il y a ainsi un séminaire français et trois séminaires pour l’Amérique latine... Avoir été envoyé et formé à Rome indique qu’on a fait l’objet d’une confiance qui prépare à des fonctions de responsabilité).

Chaque année, Rome attire des foules de pèlerins, dont le nombre a atteint huit millions pour l’Année sainte de 1975. L’équipement hôtelier ne pouvant absorber seul cet afflux, l’accueil des communautés religieuses y supplée.

Le Vatican et les puissances ou organisations internationales

Toutefois cet «État de la Cité du Vatican» est-il, à proprement parler, un État? Depuis 1929, les juristes en discutent: ils se demandent si et comment ce beau cas d’espèce peut rentrer dans les définitions admises, ou si la règle générale peut souffrir cette exception. Les gouvernements avaient, dans la pratique, plusieurs possibilités, mais n’ont, à aucun moment, raisonné dans ces termes. Les juristes s’efforcent de définir une règle de droit ayant valeur générale et universelle. En regard de cela, la réalité internationale est faite d’États souverains que ne domine aucune instance supérieure: chacun n’est lié que par les engagements qu’il a souscrits et, pour le reste, demeure seul maître de ses décisions. Aucune organisation internationale n’a qualité pour décider ou reconnaître la création d’un nouvel État. Les États adviennent (ou disparaissent) suivant plusieurs scénarios et se reconnaissent entre eux selon un code classique; l’O.N.U. et ses filiales suivent leur propre règle, qui donne des résultats un peu différents.

Pie XI s’est résolu en 1929 à une «conciliation» bilatérale, n’escomptant plus un acte international jusqu’alors jugé indispensable par la papauté. Il a ainsi redonné une assise territoriale à une souveraineté que la perte du pouvoir temporel n’avait ni supprimée, ni entamée, et qui n’avait jamais cessé d’être reconnue par les puissances internationales. Cette reconnaissance n’allait pas au monarque de l’État pontifical, ni à l’Église catholique, mais au pape, au Saint-Siège, près duquel étaient déjà accrédités les ambassadeurs. La France républicaine a elle-même montré l’exemple: elle a renoué en 1921 des relations diplomatiques qu’elle avait maintenues jusqu’en 1904 et supprimées à cette date pour des raisons purement internes, sans remettre en cause la séparation de l’Église et de l’État instaurée en 1905. Nous avons affaire ici à une situation qui nous reporte à la chrétienté et qui lui a survécu. Les États modernes laïcisés ou nés laïques ne s’en émeuvent guère. Actuellement, près de quatre-vingt-dix pays sont représentés au Vatican et des contacts plus ou moins suivis existent avec à peu près toutes les nations. Dès lors, pour le Saint-Siège, le problème n’est plus d’assurer cette position qui sort du commun, mais de la clarifier. Trois questions se posent à ce sujet. La première concerne le statut des personnes: il existe une citoyenneté vaticane (temporaire, liée à la fonction), mais aucune nationalité vaticane, car elle contredirait la supranationalité sans cesse réaffirmée du Saint-Siège. La deuxième a trait à la délimitation des compétences entre le Saint-Siège et l’État de la Cité du Vatican: au premier revient le souci des intérêts généraux de l’Église et de l’humanité, au deuxième celui des questions administratives et techniques. La troisième question est celle du titre de la participation du Vatican dans les institutions internationales: le Saint-Siège y figure comme «observateur», l’État de la Cité comme «membre». C’est ainsi que le Saint-Siège est représenté à l’O.N.U., à l’U.N.E.S.C.O., à l’O.I.T., à l’O.M.S., à la F.A.O., au Conseil de l’Europe (Strasbourg), aux Communautés européennes (Bruxelles), etc., et qu’il participe chaque année à environ deux cents sessions. Le Vatican, lui, a adhéré à l’Union postale universelle, ainsi qu’à l’Union télégraphique de Berne, et signé la Convention européenne de radio-diffusion. En revanche, on trouvera significatif que la participation au Haut-Commissariat pour les réfugiés et à l’Agence internationale de l’énergie atomique soit dans le domaine des attributions du Saint-Siège.

En bref, le Vatican apparaît comme un État enclavé, dont l’indépendance est garantie par l’État enclavant et suspendue à une souveraineté non étatique qui a su négocier les conditions de sa participation au concert international sans sacrifier ni son caractère propre, ni sa personnalité juridique. Mais, on le notera, c’est à la papauté qu’est reconnue cette souveraineté, et elle-même n’a jamais demandé plus: le «drapeau du pape», jaune et blanc, qui symbolise à la fois une position spirituelle (le Saint-Siège) et sa réalité territoriale (l’État pontifical, aujourd’hui la Cité du Vatican), ne s’est jamais confondu avec la bannière rouge de la sainte Église, arborée en quelques grandes occasions.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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